Les collaborations de Jean Prouvé

Publié le 22 mars 2022

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Jean Prouvé a collaboré dès ses débuts avec de nombreux artistes, architectes, ingénieurs, commerciaux ou encore hommes politiques. De ces collaborations sont nés des meubles et des ensembles immobiliers modernes, voire révolutionnaires pour l’époque.

Le père de l’architecte, Victor Prouvé était un artiste nancéien, acteur de la création de l’École de Nancy, aux côtés de Louis Majorelle et Pierre Gallé notamment. Jean Prouvé a travaillé avec ce dernier, dès son plus jeune âge. S’il est un peu tôt pour parler de collaboration, cette rencontre constitue les prémices d’échanges artistiques très prometteurs avec les plus grands créateurs du XXe siècle.

Jean Prouvé et Le Corbusier : Une admiration mutuelle limitée

Jean Prouvé a vent de la conception de « machines à habiter » créées par Le Corbusier, de son vrai nom Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dès 1921. Cette terminologie crue de l’habitat fait scandale, car ces « cellules d’habitation » ne sont que fonctionnalisme, loin du superflu de l’ornement, habituellement propre à l’habitation. Ce modernisme plaît à Jean Prouvé qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, réalisera des « maisons usinées » sur ce modèle.

Le fonctionnalisme est une notion à laquelle Jean Prouvé sera fidèle tout au long de sa carrière. Il se retrouve sur plusieurs points avec l’œuvre de Le Corbusier, comme la liberté de création ou encore la standardisation permettant de réaliser des économies et de pouvoir en faire profiter le plus grand nombre. De plus, tous deux prônent la liberté totale dans la création, loin des considérations de l’enseignement artistique classique.

Jean Prouvé prêta à son aîné les qualités de penseur et d’initiateur de la modernité en architecture. Cette admiration était réciproque. Le Corbusier dira à propos de ce jeune architecte « Il a traversé toutes les intrigues, toutes les vicissitudes. Il est entré dans la réalité. Il construit et il conçoit. Un tel rôle est réservé à un caractère d’élite ». Malgré tout, la relation entre les deux hommes fut très complexe, notamment pour des raisons politiques et d’éthique.

En 1945, à la sortie de la guerre, la France est détruite. Le Corbusier est appelé à réaménager la ville de Saint-Dié, dont les deux tiers de la population sont sinistrés. Jean Prouvé était alors intervenu comme conseil auprès de l’architecte. Les plans, proposés par Le Corbusier, radicalement opposés à la structure de la ville, ne plaisent pas aux décideurs, qui optent finalement pour un schéma d’urbanisme plus sage.

L’année suivante, le projet de la « Cité radieuse » de Marseille se développe et Jean Prouvé contribue à ce chef-d’œuvre architectural en amenant l’idée de remplir l’ossature de l’immeuble avec du béton, ainsi que par la conception d’éléments d’huisserie, des escaliers, mais aussi de certaines pièces de mobilier, aux côtés de Charlotte Perriand.

Plus tard, les deux architectes poursuivront leurs collaborations, de façon plus anecdotique, notamment avec la réalisation par Jean Prouvé de structures en aluminium pour la porte du Palais de l’Assemblée en Inde sur le chantier mené par Le Corbusier.

Jean Prouvé et Charlotte Perriand : une collaboration sans faille

Ces deux instigateurs de la modernité ont collaboré de nombreuses fois au cours de leurs carrières, portés par un objectif commun de modernisation, et une association professionnelle au sein de l’Union des Artistes Modernes. Dès 1939, Charlotte Perriand, Jean Prouvé ainsi que Pierre Jeanneret, le cousin de Le Corbusier, travaillent à la réalisation du Pavillon des ingénieurs pour la SCAL d’Issoire.

Pendant la guerre, Charlotte Perriand et Jean Prouvé sont des résistants de la première heure. À la sortie de la guerre, ils œuvrent pour la réalisation « d’écoles volantes » pour les villages détruits par la guerre et créent du mobilier utilitaire, nécessaire à la reconstruction d’un pays ravagé.

En 1951, Charlotte Perriand et Jean Prouvé collaborent une fois de plus à un projet ambitieux : confectionner du mobilier pour l’outre-mer. Ils créent de meubles modernes en kambala massif, un bois exotique, et en métal, en adéquation avec le style africain. Dès 1952, Charlotte Perriand signe avec les Ateliers Jean Prouvé, un contrat d’entreprise, formalisant leur collaboration.

Plus tard, les deux collaborateurs vont travailler à l’aménagement des résidences de l’Université d’Antony. Le rationalisme est le mot d’ordre pour ce projet. Jean Prouvé réalise les réfectoires et la cafétéria de l’université, et Charlotte Perriand se chargera de l’aménagement des chambres et notamment des rangements et des bureaux.

Forts de ce succès, de nombreux projets universitaires leur sont confiés par la suite. Ils aménagent les pavillons tunisiens et mexicains de la cité universitaire internationale à Paris, ainsi que la maison de l’étudiant de Paris.

En 1956, le fils de Jean Prouvé, Claude, s’associe à son père et à Charlotte Perriand pour la réalisation de maisons, pour les prospecteurs et exploitants des gisements pétroliers dans le désert du Sahara. Ces constructions s’inscrivent dans le modèle des maisons tropicales imaginées par Jean Prouvé quelques années auparavant.

Dans les années 1960, la collaboration se poursuit entre Charlotte Perriand et Jean Prouvé qui s’attellent à la réalisation de stations de loisirs en montagne. Le projet aboutira à la création des stations « Arc 1600 » et « Arc 1800 » dans les Alpes. Les bâtiments et espaces à vivre circulaires ont été pensés pour optimiser l’espace, tout en laissant place au divertissement avec notamment la construction de solariums. Alliant convivialité montagnarde et modernité, ces logements sont conçus comme des « usines à loisirs ».

Jean Prouvé et Pierre Jeanneret : l’amitié au-delà de la collaboration

La standardisation clamée par Le Corbusier depuis le début des années 1920, affectera l’œuvre de Pierre Jeanneret, son cousin, et plus tard Jean Prouvé, son collaborateur. Pierre Jeanneret avait davantage d’ambitions professionnelles en commun avec Jean Prouvé que ce dernier avec Le Corbusier.

L’un des projets importants réalisé par les deux hommes fut la « maison F 8×8 ». Ce projet a germé dans l’esprit de Jean Prouvé à la fin des années 1930. Il s’associe avec Pierre Jeanneret, en pleine période de trouble, en 1939, pour mener à bien son projet.

Les matériaux comme le métal viennent à manquer, poussant les deux architectes à créer à partir de matériaux jusqu’alors secondaires, voire inexistants, dans leurs créations comme le bois. Des logements provisoires et confortables sont alors réalisés en collaboration. L’utilisation du portique axial, développé par Jean Prouvé et des cloisons modulables permettent d’articuler l’espace intérieur de façon ingénieuse.

Plus tard, la période de l’après-guerre initie dans l’urgence des constructions provisoires pour loger les sinistrés et notamment les employés et les cadres de l’usine de la SCAL. Pierre Jeanneret collabore avec Jean Prouvé et Charlotte Perriand pour ce projet titanesque.

Poursuivant la même quête de modernité, et d’ingéniosité, Pierre Jeanneret et Jean Prouvé ont su répondre aux considérations pratiques des logements tout en ne sacrifiant ni la qualité d’exécution ni l’esthétique finale.

Pour aller plus loin…

Jean Prouvé a collaboré avec beaucoup de créateurs de l’époque comme l’architecte et designer Robert Mallet-Stevens. Ils se rencontrent en 1926 lorsque le jeune Jean Prouvé insiste pour le voir, en se rendant à son cabinet parisien. Robert Mallet-Stevens lui propose de réaliser une grille sur son chantier : la villa Reifenberg. Impressionné par le travail du jeune ferronnier, il lui propose, deux mois plus tard de réaliser une nouvelle porte pour la maison Gompel à Paris. Leur collaboration perdura quelques années encore, notamment pour la villa des frères Martel en 1927. Jean Prouvé dira de lui que « c’était un homme d’une qualité exceptionnelle ».

Jean Prouvé travailla également avec les architectes Jacques et Michel André la rénovation de bâtiment à Nancy comme le Zoo, et le Musée des Beaux-Arts. Les projets architecturaux laissèrent place à de nombreuses collaborations pour du mobilier scolaire, ainsi que du mobilier de jardin et la conception des meubles de l’hôpital Solvay.

L’architecte poursuivit ses collaborations avec d’autres de ses pairs, comme Tony Garnier pour le chantier de l’hôpital de la Grande-Blanche à Lyon. Aussi, avec les architectes Eugène Baudouin et Marcel Lods pour l’un des plus grands chantiers de Jean Prouvé : la Maison du peuple de Clichy.

Outre les architectes et les ingénieurs, Jean Prouvé côtoie des hommes politiques, comme Eugène Claudius-Petit, connu pendant la résistance, avec qui il imagine et produit ses fameuses « maisons usinées ».

Ses collaborations furent multiples et fructueuses, et restent le témoin d’une modernité prônée au-delà des divergences.