L’outrenoir de Pierre Soulages

Publié le 14 mars 2022

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Plus de la moitié des œuvres de Pierre Soulages sont des peintures à majorité chromatique noire. Champ chromatique regroupant les teintes les plus obscures, il est généralement admis que le noir est une non-couleur, qui ne reflète qu’une part négligeable de la lumière visible. Pierre Soulages en a fait son royaume expressif et paradoxalement l’expression de la luminosité en peinture.

C’est en 1947 que Pierre Soulages expérimente pour la première fois l’intensité chromatique de la couleur noire, en l’élevant comme point de départ de toutes ses créations. Il refuse le colorisme de ses pairs. L’artiste associe alors sa couleur reine avec notamment du blanc, pour mettre en valeur un jeu d’opposition chromatique fort. Après être passé par un colorisme délicat dans les années 1950, où le contraste entre blanc et noir est à peine perturbé par de légers aplats ocres et bleus, l’artiste fait du noir sa couleur ultime, la seule qui ait pu se suffire à elle-même.

Ces peintures, d’abord désignées par le mot « Noir-Lumière » ne se sont pas limitées à un phénomène optique et c’est pourquoi Pierre Soulages a très vite inventé le mot « outrenoir » pour les désigner. L’outrenoir définit selon l’artiste lui-même, « un autre champ mental que celui du simple noir », au-delà des frontières ou des idées arrêtées.

Depuis 1979, Pierre Soulages crée des œuvres où aucune autre nuance colorée ne semble pouvoir détrôner son intensité et sa force. Le noir est pour Pierre Soulages un retour aux origines, comme une renaissance et la mise en valeur du vrai, et de l’essentiel.

Des ténèbres jaillit la lumière

Écran noir pour certains, trou noir pour d’autres comment comprendre et définir l’intérêt de Pierre Soulages pour cette non-couleur ? La structure de la toile et les techniques employées permettent de déceler des variations de lumière et d’intensité de la couleur, loin d’un aplat sombre comme on pourrait le penser. Selon Pierre Soulages, « les différences de matière, de texture, (…) créaient des valeurs et des couleurs particulières. »

Maître incontesté du noir, Pierre Soulages travaille cette couleur en tant qu’expression lumineuse par excellence. Ce qui semble être un paradoxe pour certains, est une évidence pour lui. À la surface de ses toiles, la lumière est « transformée, transmutée » par le noir. La lumière émane du noir et c’est en cela que son œuvre est révolutionnaire.

Michel Pastoureau, décrit en ces termes en 2008 les toiles recouvertes de noir réalisées par Pierre Soulages : « La plupart de ses toiles sont désormais entièrement recouvertes d’un même et unique noir d’ivoire, (…) qui, selon les éclairages, produit une grande variété d’effets lumineux et de nuances colorées. » Voilà tout le talent de Pierre Soulages, avec une non-couleur unique, faire paraitre un nombre infini de nuances et de lumières.

Par ses réalisations et ses aplats, souvent en volume, striés, hachés, et tout simplement vivants, Pierre Soulages est parvenu à mettre en valeur la couleur par elle-même, et grâce à elle-même, sans utiliser de contraste avec d’autres. Là où des théoriciens de la couleur comme Chevreul et des artistes comme les impressionnistes et postimpressionnistes faisaient de la couleur l’essence de toute création et du luminisme, Pierre Soulages révolutionne le sens de la lumière par le noir.

Seul artiste à avoir eu l’audace de faire du noir la couleur de la lumière, son œuvre se retrouve bouleversée par cette découverte. Son audace n’a d’égal que son talent, que, bientôt, le monde entier lui reconnait.

Couleur de la mort, de la faute, négation de la pureté et de la virginité qu’encense le blanc, le noir est la couleur de l’austérité, du renoncement, de la religion (de l’humilité, et de l’austérité protestante). Par son œuvre, Pierre Soulages tente une déconstruction de l’image négative qui lui est associée et dit à ce propos « Quand on écrit avec de l’encre noire, ce n’est pas forcément une lettre de condoléances ». Pour Pierre Soulages, le noir est aussi et surtout la couleur de l’élégance et de la modernité, mais aussi de la force.

La force du noir

Pierre Soulages disait : « J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence et sa radicalité ». Une dynamique propre à ses toiles se dégage de son art entre tension et équilibre, le travail est empreint de force et de justesse. Les stries, les rayures, les aplats dans ses œuvres sont là pour dynamiser la couleur ultime, en créant une opposition entre le lisse de la surface et l’épaisseur volontaire des marques.

L’artiste confectionne lui-même ses propres pinceaux et use d’outils parfois peu académiques pour rendre de la matière à la surface de sa toile, de la manière la plus vivante et la plus frappante possible. Le monochrome est alors poussé à son paroxysme, vibrant à la surface de la toile.

C’est également à cette époque que Pierre Soulages crée une nouvelle structure interne pour ses œuvres parfois très grandes, allongées voire monumentales. Cela ajoute un peu plus à la force qui se dégage d’ordinaire de ces tableaux recouverts de noir.

L’historien de l’Art, Georges Duby, raconte en ces termes la première exposition des toiles noires de Pierre Soulages en 1979 « L’énergie que l’œuvre recèle procède de cette tension véhémente qui maintient captive, subjuguée (…), intensément comprimée, la fougue d’un invincible pouvoir. » Il parle alors de « triomphe éphémère ».

La mise en lumière de l’outrenoir auprès d’amateurs éclairés

Présentées au Musée d’Art moderne et d’industrie de Saint-Étienne en 1976, puis au Centre d’Art contemporain de Lyon en 1987, ce n’est qu’à l’été 1989 que ces œuvres retinrent toute l’attention du public au Musée des Beaux-arts de Nantes.

Les polyptyques de 1985 et 1986 jouent les contrastes de matière (cf Peinture 324 x 362 cm, 1985 à la Une). Le noir impérieux, joue sur des toiles où de grands aplats horizontaux ou verticaux permettent de faire jouer ce contraste si précieux aux yeux des curieux qui se pressent dans les musées du monde entier où les œuvres de Pierre Soulages sont exposées.

Les récents travaux réalisés au musée Fabre ont mis en avant les outrenoirs, par un dispositif d’accroches par des câbles, expérimenté dès 1966 à Houston puis au centre Pompidou en 1979. Une salle est dédiée à ces œuvres permettant de mettre en valeur toute leur grandeur.

Estimation des peintures de Soulages

Les peintures de Pierre Soulages sont très demandées sur le marché de l’art et peuvent se vendre à des prix importants. N’hésitez pas à contacter nos experts dans le cadre d’une expertise ou à consulter les prix de vente des peintures de Pierre Soulages afin d’établir une estimation de votre pièce.