Reconnaître le cubisme

« Il méprise la forme, réduit tout, sites et figures et maisons, à des schémas géométriques, à des cubes » (Louis Vauxcelles, au sujet des Demoiselles d’Avignon)

Le cubisme est un courant artistique conçu comme une manière d’exprimer le réel de manière plus convaincante que le style figuratif. Le défi est de taille : l’artiste cubiste doit représenter trois dimensions sur une toile bidimensionnelle (pour le volume et la masse dans l’espace).

Parmi les artistes majeurs du mouvement, on peut retenir Georges Braque, Marcel Duchamp, Juan Gris, Fernand Léger, et Pablo Picasso. De fait, on situe généralement le mouvement entre 1908 et 1913, pour désigner l’expérience pionnière de Picasso et Barque, les deux fondateurs.

Bon à savoir : selon Apollinaire, le terme est forgé en 1908 par Henri Matisse, qui venait de voir un tableau représentant des maisons, dont l’apparence cubique le frappa vivement.

Qu’est-ce que le cubisme ?

L’acte fondateur de l’art moderne

Des années 1910 aux années 1920, le cubisme introduit peu à peu l’abstraction dans la figuration. Or l’abstraction devient pour les artistes cubistes une nouvelle spiritualité ; on dépasse la figure géométrique pour accéder à une image mentale.

« Chacun comprendra facilement que la chaise de quelque côté qu’on la regarde, ne cessera jamais d’avoir ses quatre pieds, son dos et son siège et que si on lui enlève un de ces éléments, on enlève l’essentiel de sa réalité ». (Apollinaire)

Le rejet de la perspective d’un point de vue unique correspond à un rejet de l’horizon décoratif des impressionnistes et des fauves

Le temps de la subversion et de l’utopie

Gotha 2 (1923) est un plâtre qui permet à Malévitch d’expérimenter les acquis du cubisme en sculpture et architecture. La maquette atteste en effet une monumentalité conceptuelle ; ce monument cubiste présente une prétention au déploiement dans l’espace.

Avant les projets urbains de gratte-ciel, Malévitch propose un immeuble, qui est en fait composé d’une multiplicité d’immeubles, d’unités d’habitation avant l’heure. Les cubes qui forment les différentes parties du mouvement contribuent à l’emboitement asymétrique, mais organisé.

Comme Brancusi, avec sa Colonne sans fin, le principe cubiste du dispositif architecturé constitué à partir d’un module, dupliqué, est respecté. Chez Malévitch, on retrouve la modulation autour du motif géométrique du cube, qui suggère l’expansion et l’habitation infinie.

La maquette relève du laboratoire plastique : elle figure en microcosme l’habitat urbain, mais reste un projet utopique (Malévitch ne s’est ainsi pas embarrassé à le doter d’ouvertures, fenêtres comme portes).

Plus qu’une maquette figurant une association ordonnée d’immeubles, Gotha est une déclinaison cubique autour de la notion de totalité et d’unité, associée naturellement à la thématique utopique de la ville verticale.

Un — deux ou trois cubismes ?

Cubisme analytique

La première phase du cubisme est dite analytique : elle débute en 1911.

Les sujets sont neutres, de sorte à mettre en valeur la fragmentation des compositions quasi abstraites, dont les plans semblent s’interpénétrer. L’évocation prime sur la description. Le rôle assigné au spectateur est de reconstruire les formes avec son regard.

Pour autant, l’abstraction n’est pas un but en soi, mais bien un moyen d’arriver à une fin ; dans le cas du cubisme, la fragmentation est une « technique pour se rapprocher de l’objet ». 

Cubisme synthétique

La deuxième phase du cubisme est dite synthétique : elle débute en 1914.

Le cubisme synthétique procède à une inversion de la méthode de travail : les images sont formées à partir de motifs abstraits fragmentés. Juan Gris déclare alors : « d’un cylindre je fais une bouteille ».

L’année 1912 marque le premier collage cubiste par Picasso. Les natures mortes permettent désormais d’aborder l’objet sous tous les points de vue ; ce qui conduit l’artiste cubiste à superposer plans horizontaux et verticaux.

La nature morte est également l’occasion de jouer sur les notions de réel et d’illusoire. Picasso use ainsi, non pas d’un véritable cannage de chaise, mais d’un morceau de toile ciré, au motif imprimé. Les lettres « JOU » figurent un journal, sur la table de café (le mot peut se substituer à un objet). Enfin, le morceau corde fait office de cadre : le tableau peut exister comme objet.

Cubisme cézannien

La fragmentation de la touche, inventée par Cézanne, transforme le statut de son œuvre : la représentation proposée en deux dimensions s’associe à un anéantissement de l’illusion de la perspective. Elle est réduite à un plan sur la toile.

La dimension abstraite passe par une mise en valeur de la touche, du travail du pinceau. Ce n’est plus un témoignage, mais une trace/impulsion qui émane de l’artiste.

Le cubisme cézannien est le théâtre de la révélation de la forme. La perspective disparait, au profit d’un intérêt strict pour les formes. Le tableau devient l’expression directe de la psyché sur la toile, plus qu’une virtuosité technique.

Le cubisme cézannien, en tant qu’il représente rapidement, pour ses successeurs, la source de l’art moderne, correspond à une institutionnalisation académique du cubisme. Son caractère subversif se trouve diminué par la force révolutionnaire des avant-gardes qui se placent dans sa filiation.

Il répond aussi à une logique commerciale, propre au marché de l’art de la première moitié du XXe siècle : l’enjeu est de donner de la valeur à ceux qui s’inspirent de Cézanne.

Comment reconnaître la peinture cubiste ?

Les techniques et principales plastiques cubistes

Les médiums sont d’ailleurs divers : on retrouve la peinture, la sculpture, l’architecture, et même les arts appliqués. L’adaptation de la sculpture à l’architecture et aux arts appliqués s’affiche comme une nouvelle révolution : l’objet est construit, non pas taillé ou modelé.

Le chromatisme restreint et terni donne lieu à une palette sourde, aux formes fragmentées et aux points de vue multiples. Tout le défi est de proposer une composition unique, à partir de matériaux épars, une fois rassemblés dans une représentation cohérente.

L’abstraction se définit comme une négation de la profondeur, qui est pensée en deux dimensions.

Le tableau manifeste

Les Demoiselles d’Avignon (1907) fait état d’une révolution figurative de taille : les formes sont transfigurées, les détails stylisés. La simplification à l’œuvre dicte la géométrie des lignes brisées. Plus encore que Cézanne avec ses baigneuses, Picasso s’attache à présenter des poses érotiques rompues par fragmentation : autrement dit, la stylisation permet d’anéantir la sensualité.

Par ailleurs, le format de peinture d’histoire (245 x 234 cm) marque la volonté de susciter une comparaison avec un tableau classique ; une grande marque d’ambition

Les visages relèvent d’un choix figuratif inscrit dans le contexte des avant-gardes ; celui de l’influence des arts primitifs, et notamment du masque africain. Les masques australiens sont une autre source d’inspiration, et attestent de la fréquentation des artistes du Musée de l’homme. L’image des masques tahitiens constitue plus une référence à Paul Gauguin.

Son caractère iconique surpasse la simple provocation. Sans nier l’ensemble des normes picturales, il propose un éloge de dissonance picturale. Par ailleurs, la citation de la peinture d’histoire permet au cubisme de renouer avec la peinture d’exploration, réflexive.

Plus généralement, ce tableau manifeste est l’occasion de promouvoir un nouveau savoir-faire de la plasticité, qui marque la fin des valeurs du bien fait, ou de l’achèvement.

Fortune immédiate & pérenne

Le cubisme met de côté les héritages académiques, au profit d’une culture de la forme, dont le but principal reste de faire surgir des formes inédites, à tout instant.

L’œuvre abstraite ne propose plus de représentation de sujet : elle se définit exclusivement comme une grammaire des formes.

1912 marque la promotion du cubisme sur la scène artistique extrafrançaise : il devient un mouvement mondial, et le catalyseur de l’expressionnisme, du futurisme, du constructivisme, de Dada, et du surréalisme.

Le cas de l’orphisme

L’orphisme est un mouvement éphémère (1913-1918), aussi connu sous le nom de cubisme orphique ou « cubisme en couleur », une terminologie inventée par Guillaume Apollinaire.

À la différence des œuvres cubistes monochromes, l’orphisme associe des losanges et autres formes géométriques de couleurs vives et saturées. La fragmentation cubiste est prolongée par le biais de la couleur.

L’influence du cubisme se fait plutôt sentir dans l’aspect anguleux et l’allongement des formes, leur surplus de construction, et les hachures, qui esquissent les volumes et les ombres.

La syntaxe du cubisme (la structure en grille) est aussi reprise.

Le temps de la consécration

Déjà dans les années 1920, Fernand Léger avait été influencé par labandon de la figuration, prôné par Picasso et Braque ; d’où la géométrisation de ses œuvres, toujours vivace dans cette œuvre de 1953. Les corps sont ainsi traités comme des cônes et des cylindres. Ils disposent d’une volumétrie propre.

Dans la droite lignée des Demoiselles d’Avignon, La Partie de campagne atteste de l’institutionnalisation du cubisme, devenu cubisme académique ; d’où certainement la présence d’une montagne, comme par référence à la série autour de la montagne Sainte Victoire.

La cote des artistes cubistes

Sur le marché de l’art, les artistes les mieux cotés restent Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris (dans la catégorie peintures et sculptures, on enregistre parfois des ventes records à plusieurs millions d’euros pour ces pièces de musée !).

À titre d’exemple, la moyenne des estimations d’un tableau de Picasso se situe entre 700 000 et 80 000 000 euros.

Les artistes cubistes plus accessibles sont Henri Le Fauconnier, Albert Gleizes, ou encore Georges Valmier : leurs œuvres restent en moyenne dans une fourchette qui se situe bien en deçà des centaines de milliers d’euros.

SYNTHÈSE

Les caractéristiques principales du cubisme sont : les points de vue multiples, l’espace dynamisé, l’intersection des plans et des lignes, les formes fragmentées, et les collages éléments réels.

Parmi les deux sources principales du cubisme, on peut citer l’œuvre tardive de Paul Cézanne (pour la structure) et la sculpture africaine (pour la géométrie abstraite et les connotations symboliques).

Il est aujourd’hui possible d’admirer des œuvres cubistes au Centre Pompidou et au Musée d’Art moderne de la ville de Paris, au Musée National Picasso, et au Musée du Cubisme (Prague), à l’international.

Si vous pensez détenir une œuvre cubiste, n’hésitez pas à la faire expertiser par Barnie’s.